Les amendements de la directive européenne sur
les armes:
on n'est pas sorti de l'auberge !
Interview, de Dita Charanzová, rapporteur alternatif de l'ALDE
(Alliance des Libéraux et démocrates pour l'Europe)
La proposition d'amender la Directive européenne sur les armes a été récemment
approuvée par la Commission européenne du marché intérieur et de la protection
des consommateurs, IMCO1.
Elle doit être votée par le Parlement
européen2 en mars
prochain. Firearms
United3 a interviewé
Dita Charanzová, rapporteur alternatif4 de
l'ALDE (Alliance des Libéraux et démocrates pour l'Europe), à propos du
processus de négociations sur cette modification du droit des armes
Madame Charanzová, comment avez vous vécu ce processus en tant que rapporteur
alternatif ?
Je dois dire que de toute mon expérience à Bruxelles - d'abord comme membre de
la représentation tchèque à l'UE, puis en tant que MEP (membre du Parlement
européen)
- je n'avais jamais vu une proposition aussi politisée, surtout vers la fin des
négociations. Et j'ai trouvé cela très désappointant.
La Commission européenne5 a
exercé une pression énorme, pour faire adopter un texte qui contenait les
restrictions les plus sévères possibles et pour les faire adopter le plus vite
possible.
Par exemple, une des exigences de base d'un processus législatif correct est
l'étude d'impact, une évaluation de la situation d'origine et une estimation
d'experts sur l'impact de la modification proposée, ses bénéfices escompté et
son coût. La Commission a été incapable de présenter une telle étude, se
référant seulement à quelques études plus anciennes. Des études qui ne
concernaient cependant que certains aspects partiels de la question. Pourtant,
une étude d'impact est un élément essentiel pour un MEP, avant un prise de
décision. C'est pourquoi je n'ai cessé d'en demander une à la Commission, même
pendant les sessions de l'IMCO.
Une autre exigence est une consultation publique. La Commission en a fait 2,
mais ses propositions ne tiennent absolument pas compte des 28'000 réponses
reçues. Alors pourquoi faire des consultations publiques ?
Bonne question - à adresser à la Commission ! Je l'ai posée moi-même pendant
toute la procédure. Mais je n'ai obtenu aucune réponse.
Quel est en fait le rôle de la Commission pendant le processus législatif ?
La Commission a le droit d'initiative. Cela veut dire qu'elle peut faire une
proposition législative, mas ne peut l'approuver d'elle-même. En pratique, la
Commission prépare la proposition et la présente,, avec des documents
d'accompagnement techniques - comme une étude d'impact - au Conseil6 et au
Parlement européens.
Ces deux organes ont le droit de décision et peuvent approuver ou rejeter la
législation proposée. Pour cela, la Commission fournit sur demande des
informations techniques et les opinions d'experts. Si la Commission le juge bon,
elle peut retirer sa proposition.
Pourtant, tout s'est passé à l'inverse au cours de cette procédure. Nous n'avons
cessé de demander une étude d'impact, pour estimer combien de personnes et
d'armes à feu seraient concernées par ces restrictions et combien de crimes et
d'attaques terroristes sont commises avec ces armes. Pas de réponse. Lorsque
nous avons insisté, au lieu de fournir cette étude, la Commission a transmis ces
questions aux Etats membres sous forme de questionnaire et nous a présenté les
réponses. Et le résultat était que le nombre de personnes concernées étaient de
l'ordre de plusieurs centaines de milliers.
Cette procédure fut réellement peu conventionnelle. Des représentants de la
Commission apportaient des changements de dernière minute dans les négociations,
changement qu'ils étaient incapables de justifier - en fait, ils n'étaient
absolument pas préparés. Une fois, ils ont même essayé de répondre à une de mes
objections avec une définition tirée de Wikipedia. Heureusement, c'était un peu
gros - et pas seulement pour moi. L'argument a été rejeté.
Selon vous, pourquoi la Commission agit-elle ainsi ? Quel est l'arrière plan
politique de tout cela ?
Je ne veux pas me lancer dans une théorie de la conspiration. Cependant, l'une
des raisons de l'intérêt de la Commission est qu'actuellement, c'est leur seule
réponse à l'aggravation de la situation sécuritaire en Europe. Que ce soit
efficace ou non, ils n'ont rien d'autre. Et ce n'est pas un secret que la France
a fortement poussé dans cette direction. Il fallait pouvoir présenter quelque
choses aux Français, avant l'élection présidentielle d'Avril. Pour finir,
malheureusement, le rapporteur (la Britannique Vicky Ford) et certains collègues
d'autres groupes on cédé à cette pression. J'ai résisté,, cependant, parce que -
avant tout - je représente les citoyens tchèques et leurs intérêts légitimes.
Les propriétaires d'armes de la République tchèque ont réagi violemment
contre cette proposition et des réactions semblables sont venues d'autres pays,
notamment la Suisse. Ces réactions ne visaient pas seulement la Directive sur
les armes, mais l'Europe dans son ensemble.
Oui, une partie du Parlement voit ce risque. Les membres libéraux de notre
fraction pointent le fait que la Commission est en train de faire de nombreux
citoyens européens des ennemis de l'UE et cela sans raison. Cependant, la
plupart de nos collègues soutiennent la proposition, parce que la Commission a
affirmé que si le Parlement refusait cette proposition, il refuserait ainsi de
protéger le peuple contre le terrorisme.
On jette le bébé avec l'eau du bain, là. Il nous faut une Europe plus sûre et je
serais la première à voter pour cela. La Directive pourrait être bénéfique, sans
attaquer les libertés des peuples, par exemple en s'assurant que les armes
désactivées le soient proprement et de façon irréversible. Mais l'approche de la
Commission est juste complètement fausse. Pour faire de cette directive un outil
fonctionnel et utile, nous devons la préparer comme la loi tchèque sur les armes
l'a été: on se base sur des faits, on réfléchit sérieusement et on ne limite les
libertés des citoyens que dans la mesure absolument nécessaire pour assurer la
sécurité publique. C'est ce que j'ai demandé au cours de tout ce processus
législatif.
Quelles seront vos actions à venir ?
La phase suivante est le vote lors de la session plénière du Parlement européen,
en mars. J'essayerai alors de proposer certains amendements. Je dis
"j'essayerai", parce qu'un parlementaire seul ne peut proposer d'amendements, il
en faut 40 ou un groupe politique dans son entier. C'est pourquoi j'essaye de
réunir ce support. Le Parlement devra alors voter sur les amendements. Je ne
vais pas faire de pronostic sur le résultat, car il sera sans aucune doute
influencé par de nombreux facteurs. Cependant,, le processus législatif n'est
toujours pas terminé et nous devons donc continuer de nous battre.
Et si la bataille devait être perdue au Parlement, un recours à la Cour
européenne serait l'étape suivante - et je soutiendrai cela.
1 IMCO:
Commission européenne du marché intérieur et de la protection des consommateurs.
2 Parlement européen:
organe législatif de l'Europe composé de 751 députés élus dans les 28 Etats
membres.
3 Firearms United:
Organisation mondiale de défense des droits des propriétaires d'armes.
4 Rapporteur alternatif:
Représentant d'un parti européen auprès d'une commission.
5 Commission européenne:
organe exécutif de l'UE (souvent appelée simplement "Commission".
6 Conseil européen: sommet
des chefs d'État ou chefs de gouvernement des vingt-huit États membres de l'UE.